L’importance des pratiques actuelles de dépistage de la détresse dans les cliniques de cancérologie

Rachel Ehrlich, BA
Département d’oncologie psychosociale et de soins palliatifs l’Hôpital Princess Margaret

Rachel Ehrlich, Janet Ellis et Gary Rodin


Qu’est-ce que la détresse ?

Le cancer est une maladie complexe qui entraîne une multiplication rapide et incontrôlée des cellules et qui mène parfois à une maladie clinique associée à une détresse et à une angoisse profondes. Selon le National Comprehensive Cancer Network (NCCN) des États-Unis, la détresse liée au cancer est un état psychologique (cognitif, comportemental, émotionnel) social ou spirituel de nature désagréable susceptible de miner la capacité du patient à faire face efficacement au cancer, à ses symptômes physiques et à son traitement (1). Chez les patients cancéreux présentant un niveau élevé de détresse psychologique, on observe une baisse de la qualité de vie (2), une observance thérapeutique inférieure (3) et une augmentation de la détresse physique. Le non-traitement des symptômes physiques est de plus corrélé à une augmentation de la détresse émotionnelle (4). Les outils de mesure des niveaux de détresse individuelle sont indispensables à l’établissement de plans de traitement adaptés aux besoins des patients. On s’en sert pour mesurer autant les symptômes physiques (douleur, fatigue et nausée) que les symptômes psychologiques (dépression, anxiété, difficulté sociale) (2-7).

 

Qui sont les patients les plus à risque de détresse ?

La détresse peut se manifester chez toutes sortes de patients du fait de la présence de plusieurs facteurs de stress associés au cancer. Certains facteurs sont toutefois associés à un niveau élevé de détresse chez les patients cancéreux :
•    jeune âge
•    sexe féminin
•    classe socio-économique inférieure
•    prolongement de la maladie
•    diagnostic récent (6)
•    antécédents de troubles de l’humeur ou d’alcoolisme (8).

On observe un niveau élevé de détresse liée au cancer chez 20 à 40 % des patients, mais seulement la moitié des cas sont adressés à un spécialiste pour des soins psychosociaux (1). Il n’est pas rare que les patients les plus en détresse ne soient pas dirigés vers un spécialiste ou refusent de consulter à ce sujet (9). Les patients cancéreux âgés (10), ceux qui appartiennent à une classe socio-économique inférieure et ceux qui ont tendance à nier leurs problèmes sont les moins susceptibles de se faire traiter (3).


État des lieux des pratiques de dépistage de la détresse


Des instruments de mesure normalisés permettent d’évaluer, de façon quantitative, la détresse liée au cancer en milieu clinique. Le NCCN décrit deux phases de dépistage de la détresse. La première consiste à demander au patient de faire lui-même les mesures. Il s’agit de mesures non spécifiques de la détresse, comme le Thermomètre de la détresse, ou d’autres mesures spécifiques de la dépression, de l’anxiété, de la détresse spirituelle, des difficultés sociales et des symptômes physiques. La seconde consiste à donner une valeur à ces mesures de manière à déceler les patients en détresse, qui pourront ensuite se faire diriger vers du personnel clinique ou des professionnels de la santé spécialisés en oncologie psychosociale ou en soins palliatifs. Le dépistage de la détresse est de plus en plus intégré aux soins standards et dans les centres de cancérologie du Canada et d’autres pays.

L’intégration des outils de dépistage dans les cliniques de cancérologie présente de nombreux avantages, mais aussi des difficultés potentielles, notamment celle de pouvoir assurer la suffisance des ressources et des services pour répondre aux cas de détresse dépistés. Cette réponse peut être fournie par l’équipe médicale de traitement ou, dans les cas graves et persistants, par des spécialistes de l’oncologie psychosociale ou des soins palliatifs. L’acceptation et la compréhension de la détresse émotionnelle en milieu clinique contribuent sans doute à réduire les stigmates de la détresse et à inciter les gens à demander de l’aide (2). L’élimination des obstacles associés à l’attitude permet aux patients de remédier à leurs difficultés émotionnelles dans un contexte adapté à leurs besoins. Ce sont là quelques-unes des barrières qui nuisent à des pratiques efficaces de dépistage de la détresse.


Recherches actuelles et orientations futures

Malgré la multiplication des recherches sur les outils de dépistage sommaires et leur utilisation accrue, l’aspect pratique et l’efficacité des mesures de dépistage de la détresse demeurent incertains. Dre Janet Ellis, psychiatre à l’Hôpital Princess Margaret et membre du groupe de recherche du Dr Gary Rodin, procède en ce moment à un essai clinique aléatoire visant à étudier l’utilité du dépistage de la détresse. Ses études consistent à établir l’importance du dépistage de la détresse pour les patients atteints du cancer de la tête et du cou qui suivent actuellement des traitements de radiothérapie, et à déceler les obstacles à la prestation de soins psychosociaux. Cette population a été retenue en raison des difficultés propres à ce type de cancer, et parce que ce cancer est souvent lié à un taux élevé de maladie psychiatrique, de suicide et de toxicomanie (5). Certains patients atteints du cancer de la tête et du cou se blâment d’avoir causé eux-mêmes leur cancer en raison de liens possibles avec le tabagisme, la consommation d’alcool et le papillomavirus humain (5). Entre autres facteurs qui contribuent à la détresse de cette population, mentionnons que les traitements requis peuvent laisser des cicatrices visibles au visage, voire défigurer le patient, entraîner des difficultés à mâcher et à avaler ainsi que d’autres symptômes physiques, comme la douleur. En valorisant le dépistage actuel et futur de la détresse, on espère attirer l’attention des médecins sur des souffrances non détectées des patients cancéreux, de manière à pouvoir intervenir efficacement. En veillant à ce que l’évaluation et le traitement ciblent à la fois la souffrance physique et la souffrance psychologique, il sera possible d’offrir des soins de cancérologie plus holistiques et centrés sur le patient.
 

Un dépistage efficace de la détresse permet de cerner des types de détresse précis chez différentes populations de patients cancéreux, d’accroître le bien-être général grâce à une communication plus ouverte dans les cliniques d’oncologie, et permet au personnel clinique de réagir aux signaux de détresse. Ces interventions seront notamment de nature psychoéducative, psychothérapeutique, sociale ou pharmacologique (3), dont certaines seront réalisables grâce à la télémédecine pour les personnes qui habitent loin des centres de traitement. Le dépistage efficace est un outil de sensibilisation à la détresse dans les centres de cancérologie et un moyen d’éviter aux patients des souffrances inutiles liées à la détresse physique ou émotionnelle.
 



Références

1 Cité avec la permission du NCCN 1.2010 Distress Management Clinical
Practice Guidelines in Oncology. National Comprehensive Cancer Network, 2010. http://www.nccn.org. Dernier accès : [10 juillet 2010] La dernière version complète de ces directives se trouve au www.nccn.org.

2 Vitek, L., Rosenzweig, M.Q., et Stollings, S. (2007). « Distress in Patients With Cancer: Definition, Assessment, and Suggested Interventions ». Clinical Journal of Oncology Nursing, 11(3). DOI:10.1188/07.CJON.413-418.

3 Holland, J.C., Kelly, B.J. et Weinberger, M.I. (2010). « Why Psychosocial Care is Difficult to Integrate into Routine Cancer Care Stigma is the Elephant in the Room » [version électronique]. The official Journal of the National Comprehensive Cancer Network, 8(4), 362-366.

4 Rodin, G., Lo, C., Mikulincer, M.m Donner, A., Gagliese, L., et Zimmerman, C. (2009). « Pathways to distress: The multiple determinants of depression, hopelessness, and the desire for hastened death in metastatic cancer patients ». Social Science & Medicine, 68(3). DOI:10.1016/j.socscimed.2008.10.037.

5 Devins, G.M., Otto, K.J., Irish, J.C. et Rodin, G.M. (2010). « Head and Neck Cancer ». Dans J.C. Holland, W.S. Breitbart, P.B. Jacobsen, M.S. Lederberg, M.J. Loscalzo, et R.McCorkle (réd.) Psycho-Oncology (2e éd.) (135-139). New York: Oxford University Press.

6 Carlson L.E., Angen, M., Cullum, J., Goodey, E., Koopmans, J., Lamont, L., […] Macrae, Martin, Pelletier, Robinson, Simpson, Speca, Tillotson et Bultz. (2004). « High levels of untreated distress and fatigue in cancer patients » [version électronique]. British Journal of Cancer, 90, 2297-2304.

7 Chang, V.T., Hwang, S.S. et Feuerman, M.M.S. (2000). « Validation of the Edmonton Symptom Assessment Scale ». Cancer, 88(9). DOI: 10.1002/(SICI)1097-0142(20000501)88:9<2164::AID-CNCR24>3.0.CO; 2-5.

8 Massie M.J., et Holland J.C. (1990). « Depression and the Cancer Patient ». Journal of Clinical Psychiatry, 51. Suppl:12–17.

9 Graves, K.D., Arnold, S.M., Love, C.L., Kirsh, K.L., Moore, P.G., et Passik, S.D.(2007). « Distress Screening in a Multidisciplinary Lung Cancer Clinic: Prevalence and Predictors of Clinically Significant Distress ». Lung Cancer, 55(2).   DOI:10.1016/j.lungcan.2006.10.001.

10 Ellis, J., Lin, J., Walsh, A., Lo, C., Shepherd, F.A., Moore, M., Li, M., Gagliese, L., Zimmermann, C., et Rodin, G. (2008). « Predictors of Referral for Specialized Psychosocial Oncology Care in Patients with Metastatic Cancer: the Contributions of Age, Distress, and Marital Status » Journal of Clinical Oncology, 27(5). DOI: 10.1200/JCO.2007.15.4864.

11 Jacobson, P.B., Donovan, K.A., Trask, P.C., Fleishman, S.B., Zabora, J., Baker, F. & Holland, J.C. (2005).  « Screening for Psychological Distress in Ambulatory Cancer Patients » American Cancer Society, 103(7). DOI: 10.1002/cncr.20940.

 

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