Mourir dignement ; Pourquoi nous devrions tous discuter de la fin de la vie

Président, Portail canadien en soins palliatifs Professeur éminent de psychiatrie, Université du Manitoba Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en soins palliatifs Directeur, Unité de recherche en soins palliatifs du Manitoba

La dernière fois que je suis allé en Israël, j’ai accompagné un médecin en soins palliatifs de la ville de Sfat, près de la mer de Galilée, dans quelques-unes de ses visites à domicile. Mon collègue, un médecin juif dévoué, m’a amené dans plusieurs foyers pour lui offrir des conseils sur les soins à apporter à ses patients les plus gravement malades et en phase terminale. Nous avons vu un rabbin hassidique aux prises avec un cancer du poumon avancé, qui avait de la difficulté à accepter toute forme d’aide de ses enfants, maintenant de jeunes adultes. Nous avons ensuite visité une jeune Juive séfarade atteinte d’un cancer de l’ovaire également avancé, qui vivait avec sa mère dans un petit appartement et souffrait de se sentir abandonnée de ses frères et sœurs. Puis il y a eu une femme veuve âgée souffrant d’un cancer du sein très avancé et qui avait de la difficulté à passer ses journées en raison d’une douleur mal maîtrisée.

Lors de chaque rencontre, la pièce s’emplit de silence, tous attendant une réponse de ma part. Au rabbin souffrant, j’ai dit : « Les enfants veulent habituellement être près de leurs parents lorsqu’ils sont malades ; c’est une façon d’exprimer qu’ils tiennent à eux » ; à la jeune Séfarade, j’ai répondu : « Croyez-vous que vos frères et sœurs sont peu présents par indifférence ou parce qu’ils trouvent difficile de vous voir si malade » ; à la femme âgée, j’ai dit : « Vous vous sentirez beaucoup mieux lorsque la douleur sera mieux maîtrisée ».

Dans chaque cas, rien de ce que j’ai dit ne m’a semblé être particulièrement profond, jusqu’à ce que j’assiste à leur réaction. Le rabbin a versé une larme et m’a remercié en me serrant la main. La jeune séfarade a souri en laissant s’évanouir sa colère contre ses frères et sœurs. Quant à la femme âgée, elle est rapidement allée chercher un sac de plastique qu’elle a rempli de divers fruits séchés et de pâtisseries maison posées sur sa table, et elle me l’a tendu.

Lorsque j’enseigne les soins palliatifs au travers le monde, je suis toujours surpris de constater à quel point les gens se ressemblent, quel que soit l’endroit où ils vivent. Étant tous humains, nous avons des préoccupations très semblables et la même difficulté à composer avec la vulnérabilité et le caractère inévitable de la mort.

Quand je prends l’avion, où que je sois, je me fais toujours la réflexion que les voyages aériens sont une parfaite métaphore de la vie et de la mort. Le jour de notre naissance, notre vie prend son envol. Certaines personnes restent dans les airs plus longtemps que d’autres, et certaines vivent plus de turbulences que d’autres, mais la plupart, malgré tout, demeurent si absorbées par leur voyage qu’elles oublient que le moment de l’atterrissage viendra inévitablement. Travaillant dans le domaine des soins palliatifs, je peux vous assurer qu’il y a tout un monde entre un atterrissage calme et en douceur, et un écrasement soudain et brutal.

Dans notre aversion de la mort, nous sommes comme les passagers d’un avion qui ne s’intéressent qu’aux repas et aux boissons qu’on leur sert gratuitement, qui vérifient les films offerts et qui, périodiquement, jettent un œil au hublot afin de contempler la vue. En nous concentrant sur le vol, nous nous détournons de la réalité du sol qui est si loin sous nos pieds, ce sol auquel nous tous, sans exception, devrons retourner inéluctablement.

Ne pas reconnaître la réalité de la mort ne la fait pas disparaître, pas plus qu’en parler ne précipitera sa venue.

Discuter de sa propre mort permet de la planifier et de transmettre ses volontés aux personnes qu’on aime. Cela permet également d’exprimer ses préférences, d’affirmer ses valeurs et de préciser ses choix. Les études indiquent les unes après les autres que les personnes qui parlent de leur mort sont plus susceptibles de recevoir le traitement qu’elles ont souhaité, à l’endroit et au moment voulus, et que, ce faisant, elles évitent à leur famille l’angoisse de devoir, dans l’éventualité où elles perdraient la capacité de communiquer, faire des choix à leur place sans savoir ce qu’elles auraient voulu en de pareilles circonstances.

Nul n’a besoin d’attendre qu’une personne soit mourante pour tenir de telles conversations. Il suffit simplement de reconnaître que la mort est inscrite dans notre ADN, et qu’elle est par conséquent inévitable.

Si tout cela semble intimidant, voici quelques façons d’aborder le sujet. Imaginez-vous avec la personne que vous avez en tête. Vous vous tournez vers elle et vous commencez par lui dire quelque chose comme « Je t’aime ». Si cela vous paraît un peu trop fort, vous pourriez toujours commencer par une phrase comme « Écoute, je tiens à toi, la plupart du temps » ou « Ce qui est important pour toi l’est aussi pour moi ». Vous pouvez ensuite enchaîner : « Quand l’un de nous deux sera malade ou au seuil de sa mort, y a-t-il quelque chose que nous devrions savoir à propos des volontés de l’autre, afin de nous assurer que chacun recevra ses volontés ? » Vous pouvez également discuter de ces questions avec votre médecin ou lui demander comment formuler une directive préalable et nommer un ou une mandataire en matière de traitement médical, c’est-à-dire une personne qui parlera en votre nom si jamais vous n’êtes plus en mesure de le faire.

Est-ce que tout cela semble si difficile? Croyez-vous vraiment que vous pourriez blesser une personne que vous aimez ou à laquelle vous tenez en lui disant : « J’aimerais être en mesure de faire les bons choix pour toi, c’est pourquoi il est important que tu me dises tout ce que tu crois que je dois savoir pour que je fasse les choses comme elles doivent être faites ».

Après tout, qui ne souhaite pas atterrir en douceur, lorsque la vie elle-même se termine et arrive à sa destination finale.




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