Nouvelles orientations pour l’accompagnement psychologique collectif en cas de deuil : résultats d’un essai clinique randomisé de recherche de sens

Ph.D., Psychologue, Unité de soins palliatifs, Balfour Mount, Hôpital général de Montréal, Chargé de cours, Université McGill,

Auteurs : MacKinnon, CJ1,2,3, Smith1,4, NG, Henry, M1,3, Milman, E1, Chochinov, HM5,6, Körner, A.1, Berish, M.7, Farrace, A8, Liarikos, N3, et Cohen, SR1,3

Action : Les soins palliatifs ne prennent pas fin à la mort du patient; dans divers pays, il est recommandé en effet d’offrir un accompagnement aux familles et amis en deuil (Hudson et al., 2012). Notre équipe de recherche clinique a donc analysé la littérature spécialisée, puis élaboré et mené une série d’essais pour étudier l’applicabilité d’une intervention novatrice de soutien psychologique collectif axé sur la recherche de sens (SPCRS) à des adultes affectés par un deuil normal. Le deuil normal est ici défini dans le cadre établi par Shear et al. (2011), c’est-à-dire l’ensemble des symptômes courants (ennui, profonde tristesse, détresse somatique, etc.) qui, au total, ne nuisent pas au fonctionnement quotidien. La recherche s’est déroulée en trois étapes : conception initiale à partir des meilleures données disponibles, étude de faisabilité et essai clinique randomisé (ECR). Notre objectif était d’établir les fondements d’études subséquentes à grande échelle, destinées à vérifier l’efficacité du soutien psychologique collectif axé sur la recherche de sens.

Motif : Le profil clinique des personnes affectées par un deuil normal comprend divers degrés de détresse physique et psychologique qui, sans nuire gravement à leur fonctionnement social, professionnel et quotidien (Shear et al., 2011), les perturbent suffisamment pour qu’elles sollicitent une forme de soutien. Les études sur l’efficacité des interventions psychosociales antérieures dans le cadre d’un deuil normal révèlent un effet négligeable (Currier, Neimeyer et Berman, 2008). Elles ont toutefois été critiquées pour leur conception lacunaire (Larson et Hoyt, 2007), de sorte qu’il serait prématuré d’en tirer quelque conclusion définitive. Notre appréciation de la littérature nous conduit à croire que, pour ce qui est des personnes affectées par un deuil normal qui sollicitent de l’aide, il faut orienter la recherche vers des interventions fondées sur la théorie et sur des méthodes judicieusement élaborées (Schut et Stroebe, 2005). Nous avons choisi d’axer notre intervention sur le modèle de la construction de sens (MacKinnon et al., 2013a), issu d’une théorie contemporaine de l’adaptation au deuil qui suscite de plus en plus l’attention des empiristes (Park, 2010).

Méthode et résultats : Nous avons élaboré une méthode novatrice de soutien psychologique collectif axé sur la recherche de sens (SPCRS) pour adultes affectés par un deuil normal (décrite dans MacKinnon et al., 2013b). Pour ce faire, nous avons prêté une attention soigneuse à la littérature sur le deuil. Nous avons également tenu compte de plusieurs théories récentes sur le deuil et la psychothérapie de groupe, ainsi que des éléments de l’intervention psychosociale centrée sur la recherche de sens élaborée pour les patients souffrant du cancer.

Le SPCRS, dirigé par deux professionnels de la santé mentale (notamment, des psychologues), a été offert une fois par semaine pendant trois mois. Il comportait des tâches et des thèmes explicites de construction de sens, décrits dans le tableau 1 ci dessous.

Tableau 1 : Organisation du soutien psychologique collectif axé sur la recherche de sens
 

Séance Tâches et thèmes
 1 Établissement des normes; étude des récits de deuil et des fractures narratives.
2 Thèmes usuels du soutien collectif en cas de deuil; présentation par les membres d’objets d’importance associés à la personne décédée.
3 Exercice de contextualisation du deuil (Griefline Exercise); événements significatifs.
4 Interprétation et implication à l’échelle individuelle de la théorie des supposés contrecarrés (Janoff-Bulman, 1992).
5 Implication à l’échelle individuelle du modèle du double processus (Stroebe et Schut, 1999).
6 Compréhension des changements qui affectent la personne et la famille après la mort d’un proche.
7 Échange de vues sur le sens des rêves qui mettent en scène la personne décédée; présentation de la lettre d’explication à la personne décédée (Neimeyer, 2012a : Hello Again Letter).
8 Mise en commun des lettres écrites.
9 Découverte de sources qui font appel à la créativité, à la spiritualité et aux sentiments dans la recherche du sens d’un deuil.
Présentation de l’exercice sur l’influence persistante de la personne décédée (Neimeyer, 2012b : Life Imprints).
10 Mise en commun des réponses à l’exercice.
11 Exploration de la conclusion imminente de l’intervention et de son utilité.
12 Gains résultant de la participation et perspectives ouvertes.

Nous avons d’abord vérifié l’applicabilité du SPCRS (recrutement d’un nombre suffisant de participants; persévérance des participants). Nous avons également tenté de déterminer quels changements il faudrait apporter au SPCRS pour en améliorer l’utilité en consultant périodiquement les membres de notre premier groupe de 11 participants adultes en deuil. Enfin, nous voulions savoir si les résultats justifiaient un ECR de SPCRS à pleine échelle.

Les résultats des essais pilotes ont montré que l’intervention est faisable (MacKinnon et al., sous presse) : la plupart des participants (92 %) ont assisté à toutes les séances, et le pourcentage de participation moyen a été de 86 %. Les participants du premier groupe ont dit avoir largement tiré parti des activités de recherche de sens, qui les avaient aidés à composer avec leur deuil. Il ressort en outre des commentaires un élément particulièrement important, à savoir que le SPCRS a fait office de milieu d’apprentissage, porteur de plusieurs résultats prometteurs. Les membres du groupe ont dit avoir appris : a) ce que pouvait être la nature du deuil; b) comment exprimer leur deuil devant d’autres; et c) comment reconstituer leur identité auprès des autres après la perte. Nos questionnaires étaient conçus pour évaluer quatre effets du deuil : a) la douleur; b) l’anxiété; c) la dépression; et d) le sens de la vie. La majorité des participants a répondu à tous les questionnaires; six (23 %) ne l’avaient pas fait aux temps 1 et 2, de sorte que leurs réponses n’ont pas été prises en compte dans le calcul des statistiques descriptives. Nous n’avons pas compilé de statistiques déductives; étant donné le petit nombre de participants, les résultats auraient vraisemblablement été erronés. Nous n’avons constaté aucune contre-indication d’un essai clinique randomisé (ECR).

À des fins de comparaison, nous avons, en dernière étape, jumelé le groupe de SPCRS à un groupe de soutien traditionnel offert par un organisme communautaire local sans but lucratif. Il restait 26 participants à ce stade, dont 14 ont été affectés de manière aléatoire au volet SPCRS (2 groupes de SPCRS, n = 8 et 6) et 12 au groupe témoin (2 groupes témoins de 6 personnes). L’objectif était de consulter les participants et de déterminer s’il fallait modifier le SPCRS. Nous voulions également voir si les participants accepteraient de répondre à une série de questionnaires à trois moments différents : temps 1, à trois mois au plus avant l’intervention; temps 2, dès après l’intervention; et temps 3, trois mois après l’intervention. Nous avons aussi évalué la faisabilité d’un ECR pilote. Semblable à l’essai initial, l’ECR serait déclaré réussi : a) si les données qualitatives montraient que la participation n’avait pas eu d’effet nuisible global sur les personnes; b) s’il n’y avait pas de désengagement substantiel (départs si nombreux qu’il resterait moins de quatre membres dans l’un ou l’autre groupe) et/ou c) si la majorité des participants répondait à toute la batterie de questionnaires.

Au cours de l’ECR, 11 participants au SPCRS et 9 membres du groupe témoin ont achevé tous les éléments de l’étude. Aucun des premiers n’a fait état d’une détresse plus profonde après le SPCRS. La présence aux séances de SPCRS a été de 86 % en moyenne. Par comparaison, les membres du groupe témoin ont assisté en moyenne à 74 % des séances offertes. Il n’y a pas eu de désengagement substantiel, 77 % des participants ayant achevé tous les éléments de l’étude. Les participants au SPCRS se sont dits très satisfaits des tâches et des thèmes proposés pendant l’intervention, et n’ont suggéré que des ajustements mineurs.

Nous avons compilé des statistiques descriptives, notamment l’amélioration de l’étendue d’échelle entre le temps 1 et le temps 3 (voir le tableau 2). La plus grande différence moyenne concerne le groupe de SPCRS, où le changement est de 20,25 % en positif par rapport à la valeur de référence concernant les manifestations de base du deuil (outil de mesure de la peine), contre 5,02 % parmi le groupe témoin.

Tableau 2 : Pourcentage d’amélioration de l’étendue d’échelle au terme de l’essai clinique randomisé

  SPCRS (%) Témoin (%)
  N = 11 N = 9
ERED 6,26 7.52
MBD 20,.25 5,02
LRDH: blâme et colère 11,46 3,80
HGRC: désespoir 14,71 12,66
HGRC: détachement 11,38 -0,71
HGRC: panique 16,57 3,87
HGRC: croissance personnelle 8,33 0,00
CES-D 16,40 11,12
EACR: anxiété chronique 12,60 6,65
EACR: anxiété réactionnelle 6,02 6,31
TPSL 6,37 -0,43
DRSV 4,66 -0,75
IESV 11,47 2,56


ERED : échelle révisée des expériences de deuil; MBD : manifestations de base du deuil; LRDH : liste des réactions de deuil de Hogan; CES-D : échelle des états de dépression du Center for Epidemiological Studies; EACR : échelle d’anxiété chronique et d’anxiété réactionnelle; TPSL : test de la perception du sens de la vie; DRSV : échelle du deuil et de la reconstruction du sens de la vie; IESV : échelle d’intégration des événements stressants de la vie.

Ces résultats nous ont amenés à conclure qu’il n’y avait aucun motif impérieux de ne pas procéder à un ECR à pleine échelle du SPCRS.

Limites : L’absence de travaux interculturels sur la recherche de sens empêche de généraliser ce modèle théorique pour comprendre et faciliter l’adaptation au deuil. Du reste, la majeure partie des membres du groupe appartenaient aux cultures occidentales dominantes (hétérosexuels, femmes d’âge mûr, judéochrétiens), ce qui limite la transférabilité des résultats à des populations différentes.

Les résultats sont également limités par les méthodes de collecte de données. Nous n’avons pas recueilli les valeurs de référence immédiatement avant la première séance de SPCRS ou du groupe témoin, mais plutôt au moment du recrutement des sujets. Il se peut donc que l’adaptation naturelle au deuil ait influé sur les réponses fournies par les participants dans les heures précédant leur participation au groupe de SPCRS ou au groupe témoin. Nous n’avons pas non plus vérifié si les participants avaient demandé ou reçu d’autres formes de soutien avant leur participation.

L’existence de certaines formes de soutien extérieur nuit également à une évaluation parfaite du SPCRS. Plus précisément, il se trouve que pendant l’essai pilote, certaines personnes suivaient une thérapie individuelle et que d’autres participaient à un groupe de soutien.

La dernière limite concerne le groupe témoin de l’essai pilote randomisé. L’absence de procédure de vérification ou de supervision a entraîné un grand manque de cohérence entre les deux groupes témoins. Plus précisément, les tâches et les thèmes proposés ont été différents, tout comme la manière de diriger les groupes. Les comparaisons entre les volets expérimental et témoin sont affaiblies en outre par la fréquence différente des séances (qui ont eu lieu toutes les semaines dans certains cas et toutes les deux semaines dans d’autres) ainsi que par le nombre de séances (12 contre 7) (MacKinnon et al., acceptation conditionnelle).

Suivi : Étant donné ces limites, les résultats, qui restent prometteurs, doivent être interprétés avec prudence. Il n’est pas encore établi que le SPCRS puisse atténuer la détresse psychologique. À ce stade de la conception de l’intervention, il convient de dire qu’il est applicable. Nous avons dressé un plan visant un ECR de SPCRS complet. Nous procédons par ailleurs à une analyse qualitative approfondie de la transcription du contenu des séances de SPCRS pour voir comment les participants peuvent, collectivement, tirer un sens de leur perte (MacKinnon et al., 2014).

Diffusion des informations recueillies par l’auteur : Les cliniciens et les chercheurs intéressés peuvent obtenir un exemplaire du manuel sur l’intervention de MBGC en communiquant avec le chercheur principal :

Christopher MacKinnon, Ph. D., psychologue
Unité de soins palliatifs Balfour Mount, Centre universitaire de santé McGill, Hôpital général de Montréal
christopher.mackinnon@muhc.mcgill.ca

 



Sources

MacKinnon, C. J., Smith, N. G., Henry, M., Milman, E., Chochinov, H. M., Körner, A., Berish, M., Farrace, A., Liarikos, N. & Cohen, S. R. (conditional acceptance). Reconstructing meaning with others in loss: Results of a bereavement group pilot randomized controlled trial. Death Studies.

MacKinnon, C.J., Smith, N.G., Henry, M., Milman, E., Berish, M., Farrace, A. Körner, A., Chochinov, H.M., & Cohen, S.R. (in press). A pilot study of meaning-based group counseling for bereavement. Omega: Journal of Death and Dying.

MacKinnon, C.J., Smith, N.G., Henry, M., Berish, M., Milman, E., Körner, A., Copeland, L., Chochinov, H.M., & Cohen, S.R. (2013). Bridging theory with emerging trends in intervention research:  Meaning-based group counseling for bereavement. Death Studies, 38 (3), 137-144.

MacKinnon, C.J., Milman, E., Smith, N.G., Henry, M., Berish, M., Copeland, L., Körner, A., Chochinov, H.M., & Cohen, S.R. (2013). Means to meaning in cancer-related bereavement: Identifying clinical implications for counseling psychologists. The Counseling Psychologist, 41(2), 216-239.

Références

Breitbart, W., Rosenfeld, B., Gibson, C., Pessin, H., Poppito, S., Nelson, C., et al. (2010). Meaning-centered group psychotherapy for patients with advanced cancer: A pilot randomized controlled trial. Psycho-Oncology, 19(1), 21-28.

Currier, J. M., Neimeyer, R. A., & Berman, J. S. (2008). The effectiveness of psychotherapeutic interventions for bereaved persons: A comprehensive quantitative review. Psychological Bulletin, 34(5), 648-661.

Hudson, P., Remedios, C., Zordan, R., Thomas, K., Clifton, D., Crewdson, M., et al. (2012). Guidelines for the psychosocial and bereavement support of family caregivers of palliative care patients. Journal of Palliatiive Medicine, 15(6), 696-702.

Janoff-Bulman, R. (1992). Shattered assumptions: Towards a new psychology of trauma. New York, NY: The Free Press.

Larson, D., & Hoyt, W. (2007). What has become of grief counselling? An evaluation of the empirical foundations of the new pessimism. Professional Psychology: Research and Practice, 38(4), 347-355.

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MacKinnon, C.J., Milman, E., Beauchemin, A., Smith, N.G., Henry, M., & Cohen, S.R. (2014, April). Emerging nuances for continuing bonds with the deceased. Poster presented at the Annual Conference of the Association of Death Education and Counseling, Baltimore, MD, USA.

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Neimeyer, R. A. (2012b). The life imprint. In R. A. Neimeyer (Ed.), Techniques of grief therapy: Creative practices for counseling the bereaved (revised ed., pp. 274-276). New York, NY: Routledge.

Park, C. L. (2010). Making sense of the meaning literature: An integrative review of meaning making and its effects on adjustment to stressful life events. Psychological Bulletin, 136(2), 257-301.

Schut, H., & Stroebe, M. S. (2005). Interventions to enhance adaptation to bereavement. Journal of Palliative Medicine, 8(Suppl. 1), S140-S147.

Shear, M. K., Simon, N., Wall, M., Zisook, S., Neimeyer, R. A., Duan, N., et al. (2011). Complicated grief and related bereavement issues for DSM-5. Depression and Anxiety, 28(2), 103-117.

Stroebe, M. S., & Schut, H. (1999). The dual process model of coping with bereavement: Rationale and description. Death Studies, 23, 197-224.

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